Dans cet article nous vous racontons l’expérience culturelle que nous avons vécue dans la communauté indigène Pasto du Cabildo de Muellamues à Guachucal près d’Ipiales. Les cultures ancestrales sont encore très présentes dans le département du Nariño et lors de notre séjour là-bas nous avons senti comment cet héritage irrigue le territoire et la population en générale.
Nous arrivons à Guachucal en provenance de la sublime réserve naturelle Rio Ñambi. Le choc de température est saisissant ! Il faut dire que nous sommes ici dans l’un des villages les plus élevés de Colombie (3180m) et la température s’en ressent.
Nous sommes accueillis par Yurani, guide locale indigène qui porte un beau projet de tourisme communautaire. Nous allons entrer dans le cabildo indigena de Muellemues près du village de Guachucal où vit une grande communauté indigène Pasto.
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Le Guanga et le tissage de la laine
Expérience culturelle indigène Pasto à Guachucal
Nous allons tout d’abord chez une famille qui fabrique des ruanas de façon traditionnelle. La ruana est un poncho en laine typique des régions froides de Colombie. Elle est largement utilisée dans les départements du Cundinamarca, du Boyaca et du Nariño.
Sandra la leader du projet nous parle de cet artisanat ancestral, du processus de fabrication d’une ruana et de la façon dont le Guanga (le métier à tisser) est relié au territoire et aux croyances de la communauté indigène Pasto, notamment le principe de dualité sur laquelle se base toute la cosmogonie Pasto.
Depuis la tonte des moutons pour récupérer la laine, en passant par sa transformation en fil, puis au tissage sur le Guanga (métier à tisser), Sandra nous raconte tout le processus de la confection des couvertures, des ruanas ou des jupes utilisées par la communauté.
Le Guanga concentre la sagesse ancestrale. Chaque fil, chaque dessin et chaque couleur s’incarnent dans la pensée, l’histoire et la vision du monde Pasto. Le Guanga symbolise la quadrature du territoire Pasto, les quatre directions du monde et les quatre éléments qui donnent la vie : Feu (Est), Eau (Ouest), Terre (Sud) et Air (Nord).
À travers le Guanga les femmes tissent la pensée du peuple Pasto.
La pensée duale, la relation entre l’homme et l’univers connue sous le nom de Runa-Pacha (runa = être humain, pacha = nature) structure la pensée des peuples indigènes andins et donc du peuple Pasto. Non pas comme une division, mais comme des énergies qui se complètent, permettant une vision complète du monde.
Ce principe dual est présent dans tout le processus du tissage (homme/femme, début/fin, vie/mort, esprit/vivant, haut/bas, etc.) et le Guanga et le Runa forment un tout.
Autour de toutes les étapes du processus de la laine et du tissage sur le Guanga, donnant lieu à des moments de partages entre mères et filles, se transmettent les valeurs, histoires et traditions du peuple Pasto.
Nous partons ensuite en direction de Tulpud, site sacré pour la communauté Pasto de Muellamues. Sur le chemin, nous passons devant la « maison médicale », una sorte de maloca traditionnelle où les médecins traditionnels pratiquent un mélange de médecine occidentale et de médecine ancestrale. Ce centre médical est agréé par l’état et fait partie du système de santé publique colombien.
Tulpud, site sacré
Expérience culturelle indigène Pasto
Nous arrivons au site sacré de Tulpud, situé à l'emplacement d’un ancien cimetière du peuple Pasto. La légende veut que repose ici un grand cacique, chef spirituel de la communauté. C’est un lieu où l’on entre avec respect après avoir effectué un petit rituel de purification.
À l’intérieur, le feu est alimenté en permanence tout au long de l’année, car c’est lui qui connecte le monde des vivants et le monde des esprits. Auprès du feu, un « autel » a été levé en honneur du cacique et permet d’entrer en contact avec lui. On y trouve des offrandes aux ancêtres, lumière (bougie), encens naturels, maïs et autres produits de la « chagra » (potager traditionnel) et plantes médicinales.
Autour du feu allumé au centre de la salle, des rondins de bois sont disposés en cercle, le cercle de la parole. C’est ici qu’on vient discuter et prendre les décisions communautaires. C’est aussi ici que Giovani, l’un des gardiens du feu, nous accueille officiellement dans le resguardo indigena, nous raconte son rôle et l’importance de ce lieu pour la communauté.
Tulpud est un lieu d’échange de la parole et de travail spirituel. On y organise les « mingas de pensamiento » où sont prises les décisions et décidés des projets communautaires. On s’y retrouve également pour effectuer des rituels et pour fêter l’Inti Raymi, la fête du soleil qui a lieu chaque année au moment de l’équinoxe du 21 juin.
Tulpud est enfin un lieu de mémoire, où l’on maintient la cosmogonie et les mythes de la naissance du peuple indigène Pasto.
La Chagra
Expérience culturelle indigène Pasto
Nous terminons cette matinée en allant chez Giovani pour découvrir la « Chagra » le nom indigène donné au potager ancestral, qui lui aussi revêt un rôle central dans les cultures indigènes de la région et du sud de la Colombie en général.
La Chagra n’est pas un potager comme les autres, c’est comme pour le Guanga, un tissage unique qui peut conduire à des réflexions plus globales, matérielles ou spirituelles. C’est un reflet de la cosmogonie Pasto. C’est un espace qui renforce la pensée ancestrale et, par là, qui aide au maintien des traditions indigènes.
La Chagra est un modèle d’organisation sociale, car c’est un modèle d’équilibre (entre les variétés de semences), de souveraineté (alimentaire ou politique), d’harmonie avec la nature (sans produits chimiques), basée sur un apparent désordre, mais surtout une grande (bio)diversité et entraide (entre les plantes pour éviter les maladies).
La Chagra est la vie, la sagesse, les mathématiques, la nourriture et la médecine, la « Chagra es todo ».
Puis nous partageons un déjeuner à base des produits de la Chagra et de la gastronomie indigène. Nous continuons cette journée d’immersion dans la culture des Pastos en nous dirigeant vers les hauteurs du resguardo indigena et la Laguna de la Bolsa.
Les Pastos et la réappropriation du territoire
Expérience culturelle indigène Pasto
Nous nous quittons autour d’une discussion sur l’avenir de la communauté, l’enjeu majeur lié au territoire et à la récupération des traditions perdues.
Si la colonisation et l’évangélisation ont détruit une grande partie de leur culture et en particulier leur langue, les Pastos avec les autres peuples indigènes du sud-ouest de la Colombie luttent depuis les années 1980 pour la récupération de leur territoire ancestral. Une révolution politique et sociale qui fait des Pastos, avec les indigènes Nasa et Misak du Cauca, l’une des communautés les plus résistantes du pays.
Agrandir le cabildo indigena, reconstruire le site de Tulpud, maintenir la médecine ancestrale, la Chagra, le Guanga, l’organisation communautaire… c’est sur cette base politique, cette récupération du territoire, que les indigènes Pastos pourront aussi récupérer leur tradition.
Car comme dit le slogan matrice des luttes sociales indigènes de cette région, l’idée est bien de « recuperar la tierra para recuperarlo todo », c’est-à-dire « se réapproprier la terre pour se réapproprier tout le reste ».
Laguna de la Bolsa
Expérience culturelle indigène Pasto
Cette journée riche en rencontres et en apprentissages se poursuit vers les paysages naturels du resguardo indigena. Pour filer la métaphore de la dualité, après la culture et la rencontre humaine, nous plongeons dans la nature et les mythes de la création.
Nous nous dirigeons vers la Laguna de la Bolsa située à 3440m d’altitude et considérée comme le lieu de naissance du peuple Pasto. Arrivé aux abords du lac, le paysage dessine les contours du mythe : au fond la cordillère représente la Pachamama (la mère Nature) sous la forme d’une femme en train d’accoucher. Descendant des montagnes, le rio Los Capotes constitue le cordon ombilical qui relie Pachamama à la Laguna de la Bolsa, l’utérus d’où nait le peuple Pasto.
Une lancha nous emmène de l’autre côté du lac pour prendre de la hauteur et conscience de l’environnement qui nous entoure. La chaine des volcans du nœud de los Pastos nous contemple, l’impressionnant volcan Cumbal et ses 4764m, le volcan Azufral et ses 4070m, et le volcan Chiles et ses 4723m qui marquent la frontière avec l’Équateur.
Nous arrivons dans un écosystème de páramo, les frailejones nous entourent, la paix nous envahit. Sur le sentier, nous avons la chance d’observer différents oiseaux, de nombreux colibris et le sublime Tangara à ventre rouge.
La journée se termine en beauté et nous repartons en direction d’Ipiales où nous passerons la nuit. Le lendemain de nouvelles aventures nariñenses nous attendent, mais nous nous souviendrons longtemps de cette belle expérience !
Bon à savoir
Le mythe des perdrix et les origines du monde
Le mythe des perdrix raconte qu’il y a très longtemps, il y avait deux vieilles femmes indigènes puissantes, sorcières, chamanes, qui avaient le pouvoir de se transformer en en perdrix, l’une blanche et l’autre noire. Elles disaient que l’une venait des montagnes et l’autre de la forêt tropicale. Elles cherchaient à déterminer les espaces et les temps essentiels à la création du monde : l’intérieur et le dehors, le dessus et le dessous, le haut et le bas, le monde des vivants et des morts, le passé et l’avenir, etc.
Pour atteindre cet objectif, elles décidèrent de faire un pari qui consistait à mettre leurs visages l’un contre l’autre, à fermer les yeux, à lancer une fleur en l’air et à danser avec un rythme et un placement du corps symétriquement opposé, jusqu’à ce que la fleur retombe.
La danse s’arrêta et l’orientation des visages des perdrix ordonna la création du monde.
La perdrix noire était tournée vers l’ouest alors à l’ouest se trouverait le pouvoir, l’intérieur, le bas, le nord et l’ouest, la mer, le feu, la richesse, la jungle du pacifique, l’obscurité, le danger, la beauté, le fantastique, le monde des morts, la vie après la vie, le spirituel, le féminin, le plat, l’enfer, etc.
La perdrix blanche faisait face à l’est alors à l’est se trouveraient les puissances de l’extérieur, le haut, le sud et l’est, la terre, l’agriculture, la clarté, la lumière, la tranquillité, le monde des vivants, le matériel, la société-civilisation, les montagnes andines, le froid, le masculin, les nuages, le soleil, le ciel, etc.
Contact pour visiter la région d’Ipiales
Agence locale indigène
Tourisme responsable
L’agence de Yurani promeut un tourisme communautaire d’initiative indigène. Les expériences proposées offrent bien sûr les activités les plus réputées de la région d’Ipiales (Las Lajas, Volcan Cumbal, Laguna de la Bolsa, Chemin Inca, etc.) mais elles sont en plus en lien direct avec les populations paysannes et indigènes de la région. Pour une véritable immersion culturelle sur le territoire.
Où loger à Ipiales
Ipiales
Hotel
Hotel Loft Ipiales
Des belles chambres type loft, amples et confortables, pour cet hotel situé en plein centre historique d’Ipiales. Certaines chambres ont un balcon, la vue sur les toits de la ville, le personnel est aimable et l’hotel possède un parking en sous-sol.
Ipiales
Hotel
Hotel Royal Class
Un hotel basique mais propre, bon marché et bien situé proche du terminal de bus, pratique pour ceux qui veulent passent la frontière entre la Colombie et l’Equateur.
Ipiales
Hotel
Hotel Suiza Apartements
C’est ici que nous avons logé à Ipiales. L’hotel est parfaitement situé en plein centre d’Ipiales. Ce sont de vrais appartements où l’on peut cuisiner, certains manquent peut-être un peu de lumière mais le personnel est au petits soins.
Comment se rendre à Ipiales
En bus depuis Pasto
- Durée : 2h
- Tarif : $25.000 COP
- Entreprises : Transipiales, Fronteras, Expreso Bolivariano
- Départs fréquents toute la journée
En bus depuis Tulcan
Depuis la ville de Tulcan en Équateur, il faudra prendre un bus pour couvrir les 7km qui vous séparent du Puente Internacional Rumichaca qui marque la frontière avec la Colombie. Sur place vous devrez traverser la frontière à pied en passant par chaque bureau d’immigration. Le temps d’attente peut varier considérablement en fonction du monde présent pour faire la queue (patience !). Une fois passée la frontière, des bus vous attendent pour terminer les 3km restant jusqu’au terminal de transport d’Ipiales.
Important : Il est possible de passer la journée à Ipiales ou à Tulcan sans passer par la migration, mais si vous souhaitez rester dans le pays plus d’une journée ne passez pas la frontière sans passer par la migration où vous serez considéré en situation illégale.
- Durée Tulcan – Rumichaca : environ 30 min
- Tarif : environ $3.000 COP
- Départs fréquents toute la journée
Dans les deux cas, des taxis sont également disponibles des deux côtés de la frontière.
- Durée Rumichaca – Ipiales : environ 15 min
- Tarif : environ $3.000 COP
- Départs fréquents toute la journée
Important : n’acceptez pas les services de transports informels ou de passages de frontière illégaux.
